• "Pardon" à la loupe

    Il y a quelques temps (lointain) je vous parlais des nuances en traduction et de la question de culture très prégnante dans chaque langue qui a participé à sa formation, sujet très vaste et intéressant à mon avis, surtout quand on apprend ces dites langues. J'ai eu envie de récidiver...

    "Pardon" à la loupe

    Pourquoi ? Et bien parce que j'avais (re)commencé des cours de japonais, et que je venais de finir un livre très intéressant sur la culture nippone intitulé Le chrysanthème et le sabre de Ruth Benedict, un essai commandé par les américains en 1944 parut en 1948 (juste après la guerre) pour mieux comprendre leur adversaire de la Seconde Guerre Mondiale. L'anthropologue y dresse un tableau du système et du fonctionnement de la société japonaise, d'après des témoignages de ressortissants japonais installés aux Etats-Unis et des récits. Sans avoir elle même, posé le pied sur le sol nippon, c'est un sacré challenge ! Au fil des pages, j'étais tombée sur ce fait culturel très intéressant et parlant :

    Les japonais pour dire "merci" utilisent des formulations de politesse d'excuse ! Car culturellement au Japon donner quelque chose à quelqu'un lui rendre service l'aider, c'est lui imposer un ON une "dette" future qu'il doit "rembourser" alors là je vais mettre des guillemets partout, je vous ai fait un topo sur la nuance la dernière fois donc je crois que c'est clair XD. D'ailleurs c'est très étonnant de voir tout le système de ON "dette" qu'ils ont et comment l'imbrication de l'une dans l'autre peut créer des dilemmes incroyables. Notamment parce que les deux ON les plus marquants de la vie d'un japonais sont, celui qu'il doit à l'empereur, et on comprend aisément, pourquoi ce fut si important lors de la Seconde Guerre Mondiale et celui qu'il doit à sa famille, notamment ses parents, qui l'ont élevé et cela explique la vie commune de plusieurs générations sous le même toit. Je ne m'étendrai pas plus sur le sujet aujourd'hui, vous pouvez aller lire cet essai à la place, très instructif bien qu'un peu daté ! Car mon sujet n'est pas exactement là... Alors sans plus de cérémonie faisant un zoom et passons, comme intitulé dans le titre,  le "Pardon" à la loupe !

    On vient de le voir les japonais disent merci en s'excusant d'avoir "déclenché une dette future" qu'ils devront à leur interlocuteur, qui leur a rendu service... A cette lecture, la question que ça m'a posé c'est : et en Europe qu'en est-il du pardon ? Pourquoi et de quelle manière s'excuse-t-on ?

    En France on demande très peut-être trop... souvent aux enfants de demander pardon. Et la formulation m'a toujours interpellée. "Je m'excuse" comment peut-on s'excuser soi même ? "Excuse moi" bon c'est peut-être mieux. Et puis au moins ça laisse à l'autre le droit de dire "non je t'excuse pas !" Parce qu'à la fin, à toujours demander "pardon" à tout va, on finit par être "désolé" de tout ou "désolé" de rien... Il y a ceux et celles qui s'excusent sans raison, culpabilisés par tout, à côté de celles et ceux qui acceptent trop facilement les bonnes et même les mauvaises excuses. Celles et ceux qui pensent que s'ils disent "pardon" tout sera immédiatement pardonné ou arrangé. "Dis pardon au verre que tu as brisé... Est ce que ça le réparera ?"  Mais aussi ceux et celles qui refusent de demander pardon, parce qu'ils n'ont rien à se reprocher, parce qu'ils n'en ont pas envie, parce qu'ils n'ont pas compris qu'il y avait un réel problème, parce qu'ils sont dans le déni, parce que "ça ne changera rien" et etc... la liste est loin de s'arrêter là.

    Prenons le temps puisqu'il le faut aussi généralement pour pardonner de remonter étymologiquement le sujet : pardon vient du latin per donare ce équivaut à "faire don de quelque chose", en gros c'est celui qui est offensé qui a le pouvoir d'accepter la demande de l'offenseur. Vais-je lui faire don de ma résilience et passer outre le fait que j'ai été blessé ? Ne nous le cachons pas, nous voyons de suite que tout est une question de point de vue, de valeur, de culture encore une fois ^^, mais surtout de bon sens, et de gravité des choses ! C'est un terme qui a traversé les frontières européennes avec les langues latines, puisqu'en Italie on a droit à "Perdono" pas très loin de son homologue espagnol d'ailleurs et en anglais "Pardon" s'écrit de la même manière même s'il se prononce différemment. Pour les Excuses c'est un peu pareil ! Mais d'où vient-il ? Et bien... Vous connaissez Accuser ? Excuser c'est son contraire ;) Cuser vient de Causa la cause "Ac-cuser" c'est mettre en cause (pour un acte) et "Ex-cuser" c'est dédouaner quelqu'un de cette cause... Et du coup il y a une notion de juridiction derrière, on juge l'auteur - coupable ou non coupable this is the question - à savoir si on va l'inculper ou le disculper en fonction des raisons de son acte, pour lequel il demande "pardon". Et j'en reviens à l'idée de départ que des excuses, à mon avis, peuvent être refusées...

    Quand au désolé pour hier soir... il vient du latin desolare, "ravager, dépeupler" et il met en scène le sentiment de peine, de regret. Ce qui est intéressant c'est les autres emplois du mot "désolé" et des mots de la même famille comme "désolation", "désolement". Quand on dit que "tout est désolé", en parlant d'un lieu, on a de suite la notion de solitude, de sécheresse, de vide, de fléau, d'affliction, ou de pauvreté et peut-être même quand on y réfléchit, une image de fin du monde, d'apocalypse genre la désolation de Smaug le dragon de Bilbo le Hobbit... Bref ce mot a peut-être perdu de son sens profond d'origine car le terme premier semblait contenir tant de sentiments démesurés pas toujours adaptés aux situations les plus banales de la vie quotidienne comme par exemple quand on dit "Désolé j'ai eu un contretemps, j'aurais dix minutes de retard."   

    En parallèle si on s'intéresse à l'allemand, on retrouve le même type de formulation désolé et pardon vont se traduire par "Es tut mir Leid". Leid venant de douleur, on y met aussi des sentiments, mais cela engage plus la personne concernée avec la présence du "mir" (représentant le je) qui implique dans la phrase  littéralement "ça me fait mal" donc des excuses grandement basées sur le ressenti. "Die Entschuldigung" (une excuse) et "Entschuldigen Sie mich (bitte)" (excusez moi svp) quant-à-eux sont basés sur le terme de "Schuld", qui exprime le ressentiment de la faute, la culpabilité à laquelle on ajoute le préfixe -Ent. Il cherche, ici aussi, à marquer l'opposition "schuldig" être coupable (responsable d'une faute) versus entschuldigen être déculpabilisé.

    A peu de chose près on peut dire que pour ce qui est du pardon et de la faute voir même du pêché oserais-je dire, suivez la suite de mon raisonnement vous comprendrez..., les origines européennes du mot se rejoignent ! A mon avis, cela est fortement lié à une histoire de culture chrétienne commune, datant du Moyen-Âge, qui avait coutume de se confesser, de demander pardon et de "pardonner à ceux qui l'ont offensé".  

     

    Concrètement (ou pas) dans une image plus laïque en métaphore filée et peut-être, un peu plus parlante (ou pas), ça se passe comme ça :

    Le tribunal du pardon (votre cerveau) est ouvert pour rendre justice (d'un acte commis à l'encontre de votre personne) l'avocat de la défense (souvent l'auteur lui même ou parfois un médiateur) devra se justifier des faits pour lesquels il s'est rendu coupable/responsable. Pour cela il va devoir prouver sa sincérité devant les juges pour éviter de rester sur le banc des accusés. Le verdict sera rendu par le tribunal du pardon, coupable ou non-coupable, circonstances atténuantes ou aggravantes, ... et parfois plus que des mots d'ex-cuses, il faudra avoir recours à des actes réparateurs pour sortir libérés du poids plus ou moins lourd de la responsabilité pour laquelle nous étions remis en cause.

     "Pardon" à la loupe 

    Pour conclure, en ces temps de conflit en Europe, j'ai trouvé opportun de sortir cet article en construction depuis un moment... Accorder le pardon pour des crimes contre l'Humanité, contre le droit humain. Peut-on s'en sortir avec des seules excuses publiques verbales ? Voilà de quoi nous faire réfléchir sur notre relation au pardon, au travers de son étymologie et des valeurs culturelles qu'il brasse. Réfléchir aussi sur nous et notre lien avec lui. Car oui... Et nous ? En tant qu'individu, comment et quand demandons-nous pardon ? 

     En espérant que cet article aura éclairé votre lanterne comme la mienne :) suite au prochain épisode...

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